vendredi 30 octobre 2020

Top chrono 30' !

Comme écrire mes rubriques, j'aime ne pas savoir ce qui va se dessiner dans mon assiette blanche.
Aujourd'hui, je me donne 30' chrono : le temps que j'ai fixé, avec le respect du temps imparti par l'employeur, pour préparer ce 1er déjeuner de reconfinement.
Est ce que ce sera suffisant pour ouvrir le frigo et les tiroirs et choisir instinctivement les ingrédients du jour ? Est ce que ce sera assez pour trancher, découper la viande et laver, éplucher, gratter les légumes qui sont élus ce jour pour être dignes de mon assiette ? Est ce que j'aurai le temps nécessaire pour frire, bouillir et cuire pour un met chaud fait maison ?
Un romazava express s'annonce à partir de quelques feuilles d'épinards frais de l'Amap, bouillon de brèdes mafana de La Petite Hollande, ail frais de mon beau-frère
Cyrille Guitton
du Potager des saveurs et des tomates cerises du balcon.
Un morceau de côtelette, de Fifi ou Manu, du mignon cochon de Saint Gildas, se dessine sur la planche de la cuisine. En un tour de main le saler, le poivrer, le taper puis l'enfariner, le plonger dans du blanc d'œuf, l'enrouler dans la chapelure et finir par le plonger dans l'huile chaude.
En attendant, le riz basmati cuit tout doucement à la vapeur dans une casserole. Une cuillerée de rougail de piments verts et une autre de rougail de palmier, acheté au marché de Saint-Pierre de l'Ile de la Reunion, bien protégé dans mes chaussures Meindle au fond de mon sac à dos lors des onze heures de voyage en avion. Quelques tranches d'ananas frais oubliées dans le frigo et un pok-pok du jardin que les touristes passants n'ont pas osé cueillir. Le tout accompagné d'un kéfir frais de gingembre et de baie de goji bien pétillant.
La contrainte est respectée. En le dégustant, les souvenirs de la marche dans Mafate résonnent encore dans mes pas, la douce chaleur moite des serres du Potager des saveurs rechauffe mon corps pas encore habitué aux temps froid de l'automne et j'entends toujours groin-groin de Manu qui se bat gentiment avec son compagnon de route dans le hangar de Saint-Gildas des bois. Un petit voyage immobile avant une petite sieste d'1/4h et de reprendre le boulot.

Top 30' : juste le temps nécessaire pour gribouiller cette rubrique sur une page blanche 

jeudi 22 octobre 2020

Une journée de cochon

Élever un cochon, le tuer et le préparer pour être mangé n'est pas une expérience anodine et n'est pas donné à tout le monde dans les fins fonds de la campagne française. J'ai eu cette chance depuis que j’ai été adopté par la famille de « La Guittonerie », il y a 20 ans. Mais depuis, quelque chose a changé. Si avant, il s'agissait exclusivement d'une aff
aire familiale et amicale, elle s’est élargie depuis et tant mieux direz-vous ?

Oui bien-sûr, mais ils sont partis où ?
- nos coups de scie maladroits pour faire de belles paires de rouelles de jambon,
- nos mains refroidies à force de découper, sélectionner et empaqueter les viandes à partager,
- nos agacements quand le poussoir du hachoir n'arrivait pas au fond de l'entonnoir,
- nos belles rigolades quand les boudins s'éclataient et tachaient nos visages de sang écarlate,
- nos attentes interminables pour goûter à midi, la fameuse tête avant de la dépiauter pour les boudins,
- nos mains brûlantes en dépiautant la tête du cochon,
- nos envies de goûter la viande à pâté et de courir dans le jardin chercher à la dernière minute les persils et quelques brins de thym car on avait oublié,
- nos pleurs incessants pour les épluchures des kilos d'oignons,
- nos inquiétudes permanentes si la machine à saucisse va tenir le coup jusqu'à la fin de la journée,
- nos va et vient incessants pour surveiller le feu de bois pour la cuisson des terrines,
...
Aujourd'hui, l'affaire est dans le sac en une demi-journée car le professionnalisme a remplacé notre amateurisme, un excellent travail du boucher et de son fils qui nous ont accompagné : viande tranchée nette à un centième de mm près, dosage des sels et poivres à un mmg près, saucisses et boudins calibrés à un cm près et j’en passe.
Mais surtout les mœurs ont changé, où sont passés mes beaux-frères et belles sœurs : Denis, Chantal, Cathy, Jérôme, Louisette … ? Merci à notre cheffe Mado pour l’organisation, à ma nièce Elisa & sa maman & à Régis de résister et d’être présents encore aujourd'hui. Mais où sont passés les beaux moments ensemble ? Quand Adriana La Roumaine et moi le malgache ont apportés des recettes d’ailleurs et des accents à la cuisine du cochon d’ici ? Les mœurs ont changé, le camp des végé gagne petit à petit du terrain. La convivialité n’est plus « La Grande Bouffe » où les viandes, le vins et les desserts coulent à flot. Manger sain est devenu la loi universelle.
Et puis, quand je proposerai mon bocal de pâté à mes amis, que vais-je raconter ? Une tradition qui se perd ou l'histoire de Fifi & Manu ? J’opte sur ce 2ème, ce sont les noms qu’ont donnés les enfants du voisin aux deux cochons que nous avons préparés aujourd’hui. Ils me l'ont murmuré à l'oreille et les ont baptisés en honneur de Macron & Edouard Philippe.
Cette année, les deux compères ont mangé essentiellement des céréales maison disait fièrement grand-père mais plus des gâteaux. Fifi est plus fine à côté de Manu qui est trop grogneur renchérit grand-mère.
Pour moi, les kilos de viandes, de saucisses et de boudins et les huit bocaux de pâtés, de cette journée de cochon n'ont plus la même valeur. C’est le corps de Manu & Fifi qui ont été sacrifiés pour notre bien-être. Je vais les cuisiner, goûter et partager en leur honneur. Pas pour nos deux dirigeants politiques mais pour les deux cochons que j'ai vu grandir en quelques mois.
Vive La République, Vive La Cochonnerie et Vive La Guittonerie

jeudi 15 octobre 2020

Dite sa Kafe ?

Dans ma grande famille maternelle riche et aristo, on est né protestant de père en fille et on ne jure que pour le thé ! "A cup of tea" avec son nuage de lait est le summum d'une élégance affichée. En affirmant cet état de fait, il me vient à l'esprit la présentation de ma grande cousine à sa future belle-mère. Elle s'avance dans le salon avec sa jolie robe vichy toute neuve, nous servant le thé dans les précieuses tasses de porcelaine familiales. Ses pieds tremblent dans sa première paire d'escarpins pointus achetée la veille et j'en étais mal pour elle. Jeanne est bien née mais campagnarde, belle mais sans éducation et l'affaire est sérieuse. Ma mère et ma tante voudraient la caser à un jeune héritier pour la faire sortir de la misère campagnarde. Elles ont préparé, chorégraphié ses moindres mouvements.

Dans ma famille partenelle pauvre mais artisto, on est catholique de mère en fils. Mes grands parents habitent le bas quartier d'isotry et souvent je m'échappe pour les retrouver à l'heure du goûter, guidé par l'odeur fumante du café grillé. Chez eux, je lève tous les interdits: goûter au piment, à l'ail ou au gingembre cru à table, manger des tripes ... et surtout boire du café fraîchement moulu de ma grand mère .
Aujourd'hui, quelques dizaines d'années plus tard, il me reste toujours cette notion de braver un péché en buvant ma tasse, d'autant plus que ce que je suis en train de goûter est une chose précieuse et rare. Le souvenir de la paire d'escarpins pointus de Mlle Jeanne m'est revenu comme un boomerang quand j'ai soulevé ma tasse mais cette fois je ne tremble plus pour elle, je tremble de bonheur pour goûter enfin ce fameux bourbon pointu: acide et très fruité sans aucune amertume comme un grand kenyan. Un café de terroir, terroir de lave, un caractère unique qui le différencie du bourbon rond. Une cerise pointue comme celle de la première paire d'escarpin de Mlle Jeanne dont le mariage arrangé s'est terminé après seulement un an. Le café Bourbon pointu serai lui aussi disparu de la terre sauf l'intervention d'un japonais grand amateur de café, parti à sa recherche dans les jardins créoles dans les années 2000. God save the Queen ou Jésus, Marie, Joseph ! Catholique ou prostestant ? Simple guerre de territoire direz-vous ... alors Thé ou café ?

mardi 13 octobre 2020

Jus de coco

Parcourir le cirque, d'îlet en îlet, d'un piton à un autre est une bonne introduction à la découverte d'une culture d'un territoire. Après avoir exploré ses interstices les plus intimes de son relief ou encore être monté sur ses sommets pour une vue imprenable de ses limites, elle doit se terminer par une dégustation de ce qui résume, de ce qui concentre l'essence d'un chemin parcouru de la journée. Ici, à Mafate, il n'y a pas mieux que de goûter les rhums arrangés de chaque village et la poésie de la bouche devient celui des mots: le corps enveloppant d'une liqueur douce amère d'une note d'agrumes fait fondre notre âme aux îlets des orangers. L'odeur entêtante d'un fruit de la passion coule en douceur dans nos gorges assoiffées d'amour aux Îlets des Latanniers. L'acidité d'un tamarin et les essences des plantes dont les effluves ont embaumés nos chemins se trouvent soudain au fond de nos palais au replat des Roches Plates.

Et puis, en fin de parcours, une descente vertigineuse du
Maido
en bus, nous fait plonger en quelques minutes de la montagne à la mer (avec 2000 m de dénivelé) comme cette noix de coco qui est tombée de son palmier pour nous faire sentir à 25° à l'ombre après un réveil à 5° le goût de la mer, des sables et des cocotiers.
Alors je me souviens, de nos longs voyages en 404 familiale des Hauts-plateaux à la Côte-Est à Madagascar, de Tana à Tamatave (avec quelques km de pistes, bac à Brickaville, poussé de voiture à Ranomafana ...), où l'on préfère malgré la grosse fatique de la journée, goûter au jus de coco sur la plage avant de rentrer dans notre maison à Anjoma.

samedi 10 octobre 2020

Whalala

L'entrée dans
Mafate via la rivière des galets est digne d'un décor d'opéra, le prélude de L'or de rhin. Elle nous met d'emblée dans un contexte d'une quête, celle de nos ancêtres, à la recherche d'une nouvelle liberté vers une terre inconnue dans le whalala.
Petit à petit nous gravissons les cimes et d'ilet en ilet nous atterissons, au bout du deuxième jour, sur un ruisseau où nous avons établi un camp de fortune sous une ambiance sonore digne du film d' "Apocalypse now" de Francis Ford Coppola sous la musique de la Chevauchée de la Walkyrie* de la même trilogie de Wagner.
Malgré les interdits, notre sergent d'état major, Seb, nous a ordonné de faire un feu de camp. Et là, notre jeune rescapé du jour, François, a sorti sa fiole de rhum vanillé. Une gorgée de cette liqueur inattendue m'a remis dans la quête de mes origines, le but ultime de ce voyage à la rencontre de mes ancêtres. Alors j'ai ressenti dans ma bouche, les durs labeurs des coupeurs de cannes sous la chaleur moite des plaines. Et si cette gousse de vanille isolée dans cette bouteille est là , c'est parce qu'un jeune esclave nommé Edmond Albius a reussi à féconder de ses mains habiles et de son esprit vif une orchidée, et qui changer l'histoire du monde.
A eux, je lève mon verre de rhum, en versant quelques gouttes sur cette terre foulée par mes ancêtres, en rendant hommage aux centaines de milliers d'esclaves qui ont versé leurs sueurs , leurs larmes de souffrance dans ce précieux breuvage. Merci François
*vols d'hélicoptère

lundi 5 octobre 2020

Mafate

Mon 2ème voyage à la Île-de-la-Réunion sera Mafate ou Rien ? Mais avant ce trek difficile, à la rencontre de l’histoire de mes ancêtres, qui ont établi une communauté dans les cirques pour retrouver leur indépendance, je prends des forces autour d’un bon repas.Alors avant le départ avec mes compagnons de route, on s’est arrêté aux food-truck au Barachois. Et quel bonne surprise en commandant mon délicieux Cari’Zourite, d’entendre l’accent malgache avec ou sans THB, Être ou ne pas être dans le sens gasy ?

Si cette année la pandémie m’a empêché de fêter dignement les 60 ans du retour de l’Indépendance à Madagascar, je le fête aujourd’hui avec la bière nationale malgache sur l’Ile Bourbon, avec
Joel Guitton
, Seb et
Ritz A'solo
, sous le regard des canons qui pointent vers le large de l’île, dont le boulet, sans son « t » final, se retrouve dans les mains des joueurs de pétanque, qui attendent nonchalamment le coucher du soleil.
Vive l’indépendance ! A nous Mafate ! A la vie à la mort pour retrouver sa liberté !

dimanche 19 juillet 2020

Refuge de Robert Blanc

Gravir 900m d'altitude avec un sac à dos entre 15 et 20kg, pour atteindre un refuge alpin, mérite bien une douceur.

Au refuge de Robert Blanc, à 2750m d'altitude, tout près des étoiles, on nous a servi en dessert un gâteau fait maison avec des ingrédients frais lâchés par des hélicos en mal de secours de touristes égarés.
Les différentes couches de cet assemblage gourmand et très technique résument bien "la poétique de randonnée by Seb (notre guide)" que nous avons suivi jusqu'ici. Le côté minéral de l'acsencion du jour correspond au craquelin: chemin de pierre dur, sec ... craquant dans la bouche . Les plusieurs couches de névé, où mes deux paires de chaussures se sont enfoncées allègrement, comme ma cuillerée dans les deux mousses de mon gâteau. Une bonne gelée de fruits, sucrée à souhait sépare les couches de neige. Elle symbolise cette terre nourricière qui commence à faire une apparition timide après une longue hivernage. Une terre ou des pierres qui laissent pousser, ici et là, les fleurs parsemées comme cette brunoise de nectarines. Et pour finir les trois meringues, les monts éternels qui surplombent notre paysage : le Mont-blanc.
Voilà donc un gâteau qui mérite des étoiles et qui a un sens si seulement si l'on déguste tout près des étoiles en haut dans un refuge suspendu entre les nuages.